Cécile sociologue du travail à France Télécom

La question sociale aujourd’hui au sein de France Telecom

 

Céline Mounier

en tant que sociologue du travail et déléguée du personnel Cfdt

25 septembre 2009

 

Plus de 20 personnes se sont suicidées au sein de France Telecom, laissant des lettres ayant trait à leur travail, ou bien en se suicidant sur le lieu de travail. Si je suis cynique, je dis, 20 personnes, sur 100 000 salariés, c’est statistiquement normal, si j'ai bien lu les données sur la sociologie du suicide actuelle en France. Ce qui alerte, c’est que des suicides ont quelque chose à voir avec le travail. Jamais un seul facteur n’est à la source d’un suicide. Un faisceau de raisons expliquent cet acte, qui restera pour une part à jamais inexplicable. Rappelons-nous la lecture du roman Les mémoire d’Hadrien, de Marguerite Yourcenar. Mais sur le lieu de travail, voilà qui questionne la responsabilité de l’entreprise.

 

Je suis rentrée chez France Telecom en 2000, dans un laboratoire de recherche et développement, comme sociologue. Je venais du monde de l’industrie. Et je venais de terminer une thèse intitulée La responsabilité au travail. Pendant plusieurs années, j’ai réalisé plusieurs enquêtes auprès de professionnels de la relation clients, aussi bien dans des 1014 que des 1016 et 700, aussi bien en vente que dans des 3900 et 3901. Aussi bien au téléphone qu’en boutiques. Aussi bien sur le marché grand public que sur le marché des entreprises. J’ai toujours été surprise par une chose au cours de ces enquête alors que le mouvement de centralisation des systèmes d’information était en marche : la capacité de personnes à créer des niches d’autonomie et d’innovation, à tous les niveaux de l’organisation, accompagnée d’esprit entrepreneurial.

 

Mais j’ai aussi senti un tournant au fil des enquêtes. En 2006, pour la première fois de ma vie de sociologue, j’ai entendu le mot souffrance. Je ne suis pas allée le chercher ce mot. Il m'est tombé dessus dans un centre d'appel en après-vente, à Besançon. Des bons techniciens qui ne recevaient pas d'appels, les flux d'appels détournés, le centre pouvait donc fermer. Pendant ce temps, la vague des scripts séquentiels battait son plein, des formes de scripts pour une part contraires à l'écoute client. A la même époque, je l’ai entendu dans des services d’administration des ventes sur le marché entreprise. Mon analyse est la suivante : aujourd'hui, on a tous les outils web pour faire de la centralisation décentralisée, mais la décentralisation est passée à la trappe. Cela génère du gâchis de compétences et d’efficacité productive.

 

Et puis à ce mouvement de déqualification du travail dans les régions, s'est ajouté un mouvement de gestion de l'emploi pas assez accompagné de gestion des compétences. Vous travaillez bien, alors travaillez encore plus et puis partez, vous êtes trop nombreux. Exit l'intérêt au travail, le plaisir, le plaisir de la création collective. J’ai parfois eu l’impression qu’on devrait culpabiliser de s'intéresser à son travail. Et si à créer, on crée ailleurs, alors vogue le navire. C'est une bonne chose que des talents créent leur entreprise. Mais que les énergies ne trouvent pas à exprimer leur responsabilité entrepreneuriale dans l'entreprise n'est pas bon, y compris pour les talents qui créent leur entreprise, parce que l’entreprise, c’est une institution ouverte.

 

Le psychologue du travail Christophe Dejours a écrit un livre qui s'intitulait au départ Plaisir et souffrance au travail. Parce que confronté à la souffrance davantage qu'au plaisir - c'est normal, on n'appelle pas un médecin quand on va bien -, personne n'écrit sur le plaisir au travail. Exit l'idée que l'on puisse créer au travail. La valeur travail s'en trouve dégradée. Je ne suis pas angélique. Mais mon propos est qu'à nier le contentement de la création et de la prise de risques dans des cadres collectifs, il y a mécaniquement mise à mal de la valeur travail. J'ai le souvenir d'une discussion passionnante avec Christophe Dejours il y a quelques années à ce sujet au tout début de ma thèse. La question du plaisir, il ne savait plus comment l'aborder autrement qu'au regard de références philosophiques, Emmanuel Kant et la responsabilité morale subjective. Il en va de la place du travail dans la société, il me semble.


En conclusion, les suicides qui ont eu lieu portent la marque d’une crise de la valeur travail. Pas seulement au sein de France Telecom. Il y a là un problème sociétal. Mais France Telecom avait les moyens d’échapper à ce problème en considérant davantage les personnes au travail en même temps que l’efficacité productive. Des suicides au travail, c’est aussi un appel au secours de l’entreprise en tant qu’elle est une institution. L’entreprise est « une affaire de société », écrivait Renaud Sainsaulieu. L’entreprise a une responsabilité sociétale.

 

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